la Parenthèse Enchantée
Honte à toi qui la première
M’as appris la trahison,
Et d’horreur et de colère
M’as fait perdre la raison !
Honte à toi, femme à l’œil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l’ombre
Mon printemps et mes beaux jours !
C’est ta voix, c’est ton sourire,
C’est ton regard corrupteur,
Qui m’ont appris à maudire
Jusqu’au semblant de bonheur ;
C’est ta jeunesse et tes charmes
Qui m’ont fait désespérer,
Et si je doute des larmes,
C’est que je t’ai vu pleurer.
Honte à toi ! J’étais encore
Aussi simple qu’un enfant ;
Comme une fleur à l’aurore,
Mon cœur s’ouvrait en t’aimant.
Certes ce cœur sans défense
Put sans peine être abusé ;
Mais lui laisser l’innocence
Etait encore plus aisé.
Honte à toi ! Tu fus la mère
De mes premières douleurs,
Et tu fis de ma paupière
Jaillir la source des pleurs !
Elle coule, sois-en sûre,
Et rien ne la tarira ;
Elle sort d’une blessure
Qui jamais ne quérira ;
Mais dans cette source amère
Du moins je me laverai,
Et j’y laisserai, j’espère,
Ton
souvenir abhorré.
Poème d'Alfred de Musset.